Sunday, February 15, 2009

LA RENAISSANCE (BERBÈRE) AMAZIGH



LA RENAISSANCE BERBÈRE

G. Camps, Les Berbères, Encyclopédie de la Méditerranée, 1996

L'essor démographique consécutif à la colonisation provoqua l'arrivée massive de montagnards berbérophones dans les plaines mises en culture et dans les villes. Ce mouvement aurait pu entraîner une sorte de reconquête linguistique et culturelle aux dépens de l'arabe, or il n'en fut rien. Le Berbère, qu'il fût Kabyle, Rifain, Chleuh ou Chaouïa, arrivé en pays arabe, abandonnait sa langue et souvent ses coutumes, tout en les retrouvant aisément lorsqu'il retournait chez lui.
Comme les montagnes berbérophones continuent d'être le grand réservoir démographique de l'Algérie et du Maroc, on assiste à ce phénomène apparemment paradoxal que ces pays voient la part de sang arabe, déjà infime, se réduire à mesure qu'ils s'arabisent culturellement et linguistiquement.
C'était donc avec un réel pessimisme qu'historiens, sociologues, politologues et anthropologues pouvaient s'interroger sur le devenir de l'entité berbère. Nul n'est en mesure de dresser dans les États maghrébins une carte précise de la "berbérité"; d'ailleurs les recensements nationaux ne tiennent plus compte des diversités linguistiques, mais il est sûr que le recul du berbère, signalé en Algérie à la fin du XIXe siècle, s'est accentué, aussi bien dans ce pays qu'en Tunisie où les parlers berbères ne subsistent plus que dans quelques villages des Matmata et de Djerba. Au Maroc, les "bastions berbères" sont autrement plus étendus et comptent plusieurs millions de locuteurs, mais ici, comme en Algérie sous un régime politique fort différent, la volonté de l'État fut longtemps d'arabiser la totalité de la population.
Aujourd'hui, sous la pression des opinions publiques et de mouvements qui furent d'abord culturels avant de devenir politiques, les gouvernements proclament leur intention de développer une politique multiculturelle et reconnaissent, avec plus ou moins de bonne grâce, la place tenue par l'identité berbère dans la composition de la nation. Dans le sud du Sahara, les conditions socio-politiques sont différentes : la confrontation entre les cultures touarègues et le monde négro-africain tourne à la guerre civile qui aggrave, surtout pour les éleveurs berbérophones, les terribles conséquences de la sécheresse des années 1970 et 1980. L'ethnie touarègue, tant au Niger qu'au Mali, serait agonisante si le retour de la guérilla (dans laquelle les Jeeps ont remplacé les méharis) ne réveillait des ardeurs ancestrales.
Au Maghreb, partout où le berbère se maintient, ce n'est plus que comme un patois, au mieux comme une seconde langue, quand il n'est pas superbement ignoré par des États qui prétendent fonder leur identité nationale sur la seule culture arabo-islamique.
La scolarisation, se faisant partout en arabe, a fait pénétrer cette langue dans les derniers recoins du territoire. N'est-il pas trop tard, même si les intentions gouvernementales sont sincères, pour espérer une survie du berbère qui serait autre que folklorique ? Sa disparition paraît dans la logique des choses et semble obéir au "vent de l'Histoire".
Mais ce vent est particulièrement capricieux; ainsi au moment où les parlers berbères semblent pourchassés dans leurs derniers retranchements, jamais il n'y eut autant de linguistes pour les étudier et miracle ! ces études ne sont plus le fait de savants étrangers, accusés d'être les héritiers du colonialisme, mais elles se font de l'intérieur par des berbérophones enfin débarrassés de leur complexe de minorité honteuse. Désormais, et c'est un phénomène très encourageant, ce sont des Berbères qui étudient et défendent leur langue maternelle.
En même temps, les études de linguistique berbère et de littérature orale bénéficient, encore plus à l'étranger que dans les États maghrébins et sud-sahariens, de la percée enfin réalisée par la langue berbère dans le domaine universitaire. Des centres d'études et des laboratoires européens et américains se spécialisent, sans réticence aujourd'hui, dans cette recherche qui fut si longtemps négligée par les orientalistes. Ceux-ci, dans leur quasi-totalité, ne voulaient connaître que la culture arabe, la "berbérité" n'étant, à leurs yeux, qu'une annexe gênante de leur champ d'étude. Les seize tomes parus de l'Encyclopédie berbère, publication internationale confiée à de nombreux spécialistes en Histoire, Anthropologie et Linguistique berbère, sont un bon témoignage de cette percée universitaire.
Il faut tenir compte aussi d'un mouvement beaucoup plus profond et spontané qui est le renouveau du chant traditionnel qui n'hésite pas à traiter de l'actualité la plus brûlante, ce qui a fait connaître la prison à plusieurs auteurs-compositeurs à la langue trop bien pendue.
Cet essor de la tradition orale revêtue d'habits nouveaux s'accompagne d'une multiplication, voire d'une prolifération d'associations culturelles "amazigh" (ce terme est aujourd'hui accepté par l'ensemble de Berbères) qui attirent à elles la plupart des jeunes intellectuels. Ceux-ci trouvent dans les pays d'accueil, et en premier lieu la France, une liberté qui n'a guère l'occasion de se manifester dans certains Etats fondés sur les ruines de l'ancienne Berbérie. Ce printemps multiforme des études et des manifestations amazigh est inséparable d'une affirmation de plus en plus assurée d'une identité berbère transnationale.

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